PLF 2026 : la dernière carte du gouvernement pour convaincre

Derrière les chiffres et les annonces du PLF 2026, une ambition gouvernementale: prouver qu’il est encore possible de conjuguer réforme, équité et discipline budgétaire. Dernier budget de la législature, il est décliné autour de quatre priorités majeures que sont la consolidation des acquis économiques, le lancement d’une nouvelle génération de programmes territoriaux, l’approfondissement de l’État social et le renforcement de la soutenabilité budgétaire. Il reste à savoir ce qu’en pensent l’opposition et les acteurs économiques…
Présenté le 20 octobre 2025 devant les deux Chambres du Parlement, le Projet de loi de finances (PLF) 2026 trace la feuille de route d’une économie marocaine en quête d’un équilibre entre relance, équité sociale et consolidation budgétaire. Pour Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Économie et des Finances, le gouvernement entend faire du prochain exercice un tournant vers un développement durable, inclusif et résilient.
Cette orientation, explique la ministre, traduit la volonté d’assurer une continuité réformatrice et de renforcer le rôle de l’État social. Il s’agit, d’une part, de consolider les fondements économiques du pays afin d’affermir sa position parmi les nations émergentes, et d’autre part, de lancer de nouveaux programmes intégrés de développement social et territorial. En parallèle, le gouvernement vise à préserver les équilibres des finances publiques tout en consolidant les bases de la solidarité nationale. Autant de priorités majeures pour la dernière année de la mandature actuelle.
Le PLF 2026 repose sur une vision stratégique de moyen terme visant à accélérer la transformation structurelle de l’économie nationale, à promouvoir la justice sociale et territoriale et à renforcer la résilience du modèle économique face aux chocs extérieurs.
Dans un contexte où les économies mondiales enregistrent un ralentissement (3,1% en 2025 et 3,2% en 2026 selon les prévisions), le Maroc poursuit sa propre trajectoire de consolidation, avec une croissance prévue de 4,6% en 2026. Ce dynamisme repose sur la reprise du secteur agricole, dont la production céréalière atteindrait 70 millions de quintaux, et sur la solidité des activités non agricoles, attendues en hausse de 4%.
La ministre de l’Économie et des Finances a rappelé que la philosophie du PLF 2026 s’articule autour d’une logique d’action : transformer la croissance en progrès social durable, investir dans le capital humain et moderniser l’État. Il s’agit d’un projet de consolidation et d’anticipation, où chaque politique publique s’inscrit dans la cohérence d’une stratégie globale de développement durable.
«En s’inscrivant avec constance dans la continuité des réformes structurelles et sectorielles déployées, ce PLF marque un véritable tournant en faveur de l’accélération du processus de développement multidimensionnel du Royaume et du renforcement soutenu de son attractivité», dixit Nadia Fettah.
L’investissement pour consolider les acquis
L’investissement public demeure le moteur central de la relance et de la transformation structurelle du pays afin de consolider les attributs de l’essor socio-économique du Royaume et bâtir une économie compétitive, plus diversifiée et plus ouverte, dans un cadre macro-économique sain et stable.
Ainsi, le volume global de l’investissement public pour 2026 s’élève à 380 MMDH, répartis entre 179,7 milliards mobilisés par les établissements et entreprises publics, 132,8 milliards par le budget général et les comptes spéciaux du Trésor, 45 milliards par le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement et 22,5 milliards par les collectivités territoriales. Cet effort colossal vise à financer des projets structurants dans les domaines de l’énergie, des transports, de la logistique, de la connectivité territoriale et de la transition écologique.
L’année 2026 verra la poursuite de la modernisation des grands aéroports, l’extension du réseau ferroviaire à grande vitesse vers plusieurs villes du Royaume, la réhabilitation du réseau routier et la consolidation du système portuaire national, notamment à travers les chantiers de Nador West Med et du Grand Port Atlantique de Dakhla. Ces projets, inscrits dans une approche de développement territorial intégré, visent à renforcer la compétitivité économique du Maroc et à faire du Royaume une plateforme régionale d’échanges et d’investissements.
La sécurité hydrique constitue également un axe prioritaire de la politique d’investissement public. Une enveloppe de 16,4 MMDH est allouée à la construction de nouveaux barrages, à la consolidation des projets de transfert d’eau et au développement des unités de dessalement. Ces initiatives s’inscrivent dans la stratégie nationale de gestion intégrée des ressources en eau, visant à garantir la sécurité hydrique du pays face aux défis du changement climatique.
L’État social et les politiques de solidarité
La consolidation de l’État social constitue le cœur du PLF 2026. Ce dernier mobilise une enveloppe globale de 140 MMDH dédiée aux secteurs sociaux, soit une hausse significative de 21 MMDH par rapport à 2025. Dans le domaine de la santé, il s’agit de poursuivre la réforme fondée sur l’amélioration de l’offre de soins, la réhabilitation des infrastructures et la modernisation de la gouvernance sanitaire. Un programme de réhabilitation et d’équipement est en cours, couvrant 90 hôpitaux pour un investissement total de 3,3 MMDH.
Parallèlement, la construction de nouveaux centres hospitaliers universitaires à Rabat, Tanger, Agadir et Laâyoune se poursuit, tandis que la deuxième phase du programme de mise à niveau des établissements de soins primaires concernera 1.600 centres de santé sur trois ans, pour un budget de 6,9 MMDH. Ces efforts, selon les données du gouvernement, visent à garantir une couverture territoriale équilibrée et à offrir des services de santé accessibles et de qualité à l’ensemble de la population.
La réforme du système national de santé avance également à un rythme soutenu. Elle s’articule autour de la digitalisation du système d’information sanitaire, de la création de l’Agence marocaine du médicament et des produits de santé, ainsi que de la mise en place progressive des groupements territoriaux de santé, destinés à améliorer la gouvernance et la coordination des services à l’échelle régionale.
Sur le plan social, le programme d’aides directes demeure un pilier central de la politique de solidarité nationale. Depuis son lancement, il a bénéficié à près de 4 millions de foyers pour un montant global de 44,6 MMDH. En 2026, environ 11 millions de citoyens issus de familles éligibles en bénéficieront, pour un budget annuel de 10,5 MMDH. Le montant des allocations familiales a été revu à la hausse, passant de 50 à 100 DH par enfant (à partir du quatrième enfant), afin de mieux accompagner les familles dans la prise en charge des dépenses essentielles.
Le gouvernement a par ailleurs alloué une enveloppe de 29 MMDH pour garantir la pérennité et l’efficacité de ce programme. Concernant la préservation du pouvoir d’achat des citoyens, les données du PLF indiquent qu’entre 2022 et 2025, 116 MMDH ont été mobilisés pour stabiliser les prix des produits de base, notamment ceux de l’énergie, de l’eau, de l’électricité et du transport.
Pour 2026, une enveloppe supplémentaire de 14 MMDH est prévue pour prolonger cet effort, complétée par un appui financier de 17 MMDH en faveur de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable, afin de garantir la stabilité des tarifs et la continuité du service public.
En matière de dialogue social, un effort global de 48 MMDH a été mobilisé sur la période 2022-2026 pour la revalorisation des salaires, l’amélioration des retraites et la promotion des conditions de travail. Quant au soutien du prix à la consommation de certains produits, l’État continuera de soutenir les prix du gaz butane, du sucre et de la farine de blé tendre produite local, à travers la programmation d’une enveloppe de 13,77 MMDH au titre du PLF.
Parallèlement, le programme d’aide directe au logement, lancé en 2024, a permis à plus de 68.000 ménages d’acquérir un logement principal, pour un montant global de 5,6 MMDH à la mi-octobre 2025. Le programme «Villes sans bidonvilles» poursuit sa mise en œuvre avec succès, contribuant à améliorer les conditions de vie de 362 275 ménages sur un objectif de près de 497.000.
Ces programmes s’ajoutent à la reconstruction des zones sinistrées par le séisme d’Al Haouz, où les efforts de l’État se concentrent sur la réhabilitation des logements, la restauration des infrastructures, la relance de l’activité économique et le renforcement de la résilience territoriale face aux catastrophes naturelles.
Les programmes de développement intégrés
Le PLF 2026 introduit une nouvelle génération de programmes de développement intégrés. Le Programme national intégré de développement rural, lancé sous l’impulsion royale, constitue la pierre angulaire de cette démarche. Il repose sur une approche territoriale intégrée, axée sur la valorisation des potentialités locales, la création d’emplois et la lutte contre la marginalisation. Le programme prévoit la création de 542 centres ruraux, identifiés à partir d’un diagnostic territorial approfondi, afin de renforcer la cohésion territoriale et de favoriser le développement équilibré du monde rural.
Pour l’année 2026, 77 nouveaux centres seront construits, tandis que 36 centres pilotes verront le jour pour un coût total de 2,8 MMDH. Ces projets visent à soutenir les zones rurales et montagneuses les plus fragiles, à renforcer les infrastructures de base et à garantir un accès équitable aux services publics essentiels, notamment l’éducation, la santé, l’eau potable, l’électricité et les routes.
Dans cette logique, le PLF 2026 accorde une importance particulière à la gestion proactive et durable des ressources hydriques. Les programmes engagés prévoient la construction de nouveaux barrages, la consolidation des projets de transfert d’eau entre bassins et le développement des capacités de dessalement de l’eau de mer, afin de porter la production annuelle à 1,7 milliard de mètres cubes.
Les programmes de développement intégrés s’appuient également sur la mise à niveau territoriale à travers l’identification de projets en harmonie avec les grands chantiers nationaux, l’amélioration des conditions de vie en milieu rural, la priorisation des zones montagneuses et oasiennes, et le développement durable du littoral. La mise en valeur des centres ruraux émergents, la création d’activités génératrices de revenus et la promotion de l’entrepreneuriat local figurent parmi les axes majeurs de cette stratégie.
Les équilibres économiques et budgétaires
Le PLF s’appuie sur une gestion rigoureuse et prudente des finances publiques, dans un contexte marqué par la poursuite des réformes structurelles et la volonté de renforcer la résilience de l’économie nationale, tout en préservant la soutenabilité budgétaire.
Les recettes ordinaires devraient atteindre 432,8 MMDH, en hausse de 9,5% par rapport à l’année précédente, traduisant l’impact positif de la dynamique économique et de la réforme fiscale. Les recettes fiscales s’élèveraient à 366,5 MMDH, soit 20,1% du PIB, tandis que les recettes non fiscales sont estimées à 62,7 MMDH, tirées notamment des dividendes d’OCP Group, de Bank Al-Maghrib et de l’Agence nationale de la Conservation foncière, du Cadastre et de la Cartographie, ainsi que des versements des établissements et entreprises publics (27,5 MMDH), des mécanismes de financement innovants (20 MMDH) et des cessions de participations de l’État (6 MMDH).
Les impôts directs atteindraient 164,2 MMDH, soit 9% du PIB, portés principalement par l’Impôt sur les Sociétés (IS) estimé à 94,5 MMDH (5,2% du PIB) et l’Impôt sur le Revenu (IR) à 64,5 MMDH (3,5% du PIB). Les impôts indirects s’établiraient à 159,7 MMDH, dont 114,4 MMDH au titre de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), répartie entre 43,3 MMDH pour la TVA à l’intérieur et 71 MMDH pour la TVA à l’importation et 45,4 MMDH au titre de la Taxe Intérieure de Consommation (TIC), provenant principalement des produits énergétiques (23,1 MMDH) et des tabacs manufacturés (17,7 MMDH). Les droits de douane devraient générer 18,5 MMDH, soit 1% du PIB, tandis que les droits d’enregistrement et de timbre atteindraient 24 MMDH, représentant environ 1,3% du PIB.
À noter également que les recettes diverses passeraient de 8 MMDH en 2025 à 9,6 MMDH en 2026, soit une progression de 10,4%. Les dépenses totales de l’État, incluant les comptes spéciaux du Trésor et les services de l’État gérés de manière autonome, devraient atteindre 488,2 MMDH, soit 26,8% du PIB. Les dépenses ordinaires s’élèveraient à 379,4 MMDH (20,9% du PIB), dont 324 MMDH en biens et services. La masse salariale représenterait 195,3 MMDH, soit 10,7% du PIB, marquant une légère baisse de 0,2 point du PIB par rapport à 2025, tenant compte du coût des créations de postes, des promotions et des mesures issues du dialogue social.
Les autres dépenses de biens et services s’établiraient à 128,7 MMDH, traduisant l’effort budgétaire en faveur des secteurs sociaux, notamment l’éducation, la santé et la mise en œuvre de la réforme de la protection sociale. La charge des intérêts de la dette devrait se situer à 41,6 MMDH (2,3% du PIB), en recul par rapport à 2025, reflétant une baisse des charges tant sur la dette intérieure qu’extérieure.
La charge de compensation, pour sa part, serait contenue à 13,9 MMDH, représentant 0,8% du PIB. Les dépenses d’investissement progresseraient de 8,8%, pour atteindre 114,8 MMDH, soit 6,3% du PIB, confirmant la volonté du gouvernement de maintenir un niveau élevé d’investissement public en appui aux chantiers structurants, aux stratégies sectorielles et à la réduction des disparités territoriales et sociales.
Sur la base de ces prévisions, le déficit budgétaire devrait être ramené à 3% du PIB, contre 3,5% en 2025, soit un déficit nominal de 55,4 MMDH. Quant à la dette publique, elle se stabiliserait autour de 66% du PIB, confirmant la soutenabilité de la trajectoire budgétaire à moyen terme.
Perspectives économiques et défis à venir
La croissance économique nationale devrait atteindre 4,6% en 2026, soutenue par la reprise des secteurs à forte valeur ajoutée et par une production céréalière estimée à 70 millions de quintaux. Les activités non agricoles poursuivraient leur progression à un rythme de 4%, tandis que la formation brute de capital fixe augmenterait de 6,6%.
La consommation des ménages devrait progresser de 3,7%, portée par l’amélioration du revenu disponible, la stabilité de l’inflation autour de 2% et la consolidation du marché du travail. Les exportations de biens et services, tirées par les secteurs automobile, aéronautique et électronique, augmenteraient de 8,2%, renforçant la place du Maroc dans les chaînes de valeur mondiales.
La demande extérieure adressée au Maroc devrait également progresser de 2,3% en 2026, portée par l’accélération du commerce mondial des marchandises (1,8% en 2026, après 0,9% en 2025 selon l’OMC).
Cette dynamique se prolongerait à l’horizon 2028, avec une demande étrangère attendue autour de 3,1%, soutenue par l’amélioration des importations de nos principaux partenaires européens, en particulier la France et l’Espagne. Quant au déficit du compte courant de la balance des paiements, il devrait se maintenir à 2,8% du PIB, traduisant la solidité des équilibres extérieurs et la résilience de l’économie nationale.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO