Calendrier monétaire : la prudence dicte le statu quo

À l’approche du prochain conseil de Bank Al-Maghrib, la prudence semble l’emporter sur les anticipations. Le consensus non déclaré suggère que la Banque centrale préférerait temporiser, le temps de mesurer l’impact des dispositions contenues dans la prochaine Loi de finances.
Il appartient à Bank Al-Maghrib de trancher lors de son prochain conseil, en assumant un choix qui pèsera sur la trajectoire économique des prochains mois. Le rendez-vous monétaire prévu le 23 septembre se veut un moment clé pour réajuster l’orientation des taux face aux interrogations que suscite la conjoncture, notamment sur la nécessité de prolonger la pause actuelle ou d’engager une nouvelle détente monétaire alors que les indicateurs paraissent plutôt orientés vers la bonne direction.
Depuis mars, le taux directeur se maintient à 2,25%, après trois gestes successifs d’assouplissement, en juin et décembre 2024, puis en mars 2025. S’en est suivi le maintien du statu quo en juin, jugé à un niveau cohérent avec l’évolution de l’inflation. Les projections de l’institution dirigée par Abdellatif Jouahri tablent, pour rappel, sur une croissance de 4,6% en 2025, portée par la bonne tenue des activités non agricoles et une inflation moyenne autour de 1% sur l’année.
Dans les faits, l’inflation, mesurée par la variation annuelle de l’indice des prix à la consommation, ressort en moyenne à 1,2% au cours des sept premiers mois de l’année, selon les dernières données publiées par le Haut-commissariat au plan. Sa composante sous-jacente s’est établie pour sa part sur la même période à 1,3%. Si la hausse des prix à la consommation s’est nettement atténuée, les chefs d’entreprise, eux, jugent encore l’activité économique à l’aune de leurs propres coûts de production.
Le HCP souligne à ce titre qu’en juillet 2025 (dernières données rendues publiques par l’autorité statistique), les prix à la production dans les industries manufacturières hors raffinage se sont légèrement contractés (–0,1 % par rapport à juin), tirés par le recul de l’agrobusiness, l’habillement ou encore la filière du caoutchouc-plastique, à l’heure où d’autres branches enregistrent un léger renchérissement, comme les produits minéraux non métalliques (+0,3 %) ou certains biens métalliques.
Ce contraste sectoriel entretient une inflation perçue de manière différente selon les secteurs, mais qui continue de peser malgré tout sur les anticipations du tissu productif. Il faut dire que certains dirigeants d’entreprise, confrontés à la volatilité des coûts de production, hésitent à engager de nouveaux investissements, ce qui limite, in fine, le recours au crédit. De là découle, d’ailleurs, le ralentissement du recours au crédit du secteur non financier, dont la progression se limite à 2,6% en 2024 (contre 2,9%, une année auparavant), selon le dernier rapport de stabilité financière de BAM.
Le marché du travail, quant à lui, reste fragile, avec un chômage qui frôle encore les 13%, preuve que la reprise n’a pas suffi à résorber les déséquilibres structurels, et ce, en dépit des performances de certains secteurs. Pour autant, les interrogations qui persistent sur les conditions de la reprise et/ou la faiblesse anticipée des tensions inflationnistes, justifient-elles un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire?
Cassure conjoncturelle
À en juger par l’évolution des marchés financiers, le maintien du statu quo a servi de soubassement pour asseoir à nouveau la confiance des investisseurs et porter l’indice de Casablanca vers de nouveaux sommets. La perspective du Mondial 2030, conjuguée à la stabilité du cadre monétaire, a alimenté l’élan du marché actions, portant l’indice phare de la Bourse de Casablanca au-dessus du seuil symbolique des 20.000 points, et ce, en plein mois d’août ! Un record historique aussitôt effacé, le Masi ayant rebasculé sous ce seuil symbolique, dès le 9 septembre dernier. Une cassure qui a ravivé les interrogations des opérateurs.
«Ce repli s’explique principalement par la correction catalysée par l’attaque d’Israël au Qatar», nuance Farid Mezouar, directeur executif de Fl Markets.
À ce propos, ce contexte géopolitique a servi de prétexte à nombre d’investisseurs pour monétiser une partie de leurs plus-values latentes. Depuis, l’attention s’est portée sur la perspective d’une baisse prochaine des taux de la Réserve fédérale américaine, ce qui a contribué à stabiliser le marché à un niveau proche de sa cible. Sur le front international, ce scénario est conforté par le discours de Jerome Powell au dernier symposium de Jackson Hole.
Dans l’entourage de l’administration américaine, plusieurs voix reprochent à la Fed de brider la croissance en maintenant des taux élevés. Une posture confortée par la révision des chiffres de l’emploi opérée par l’agence statistique fédérale sur la période février–mars 2025, qui ramène le rythme mensuel de créations à 73.000 contre 150.000 initialement annoncées. Pour les marchés, la conjonction de ces éléments accrédite l’idée d’un cycle de détente graduel.
Au Maroc en revanche, l’attentisme prévaut. À en croire les analystes, les investisseurs préfèrent jauger les mesures fiscales et attendre la confirmation des bénéfices semestriels. «La tentation des prises de bénéfices est toujours présente. Encore faut-il rappeler les incertitudes entourant la loi de finances fixant le cadre macro, ayant parfois un impact sur les bénéfices des entreprises cotées», souligne un analyste.
Consensus non-déclaré
À l’approche du prochain conseil de Bank Al-Maghrib, la prudence semble donc l’emporter davantage sur les anticipations. La lecture admise par les professionnels du marché suggère que la Banque centrale préférerait temporiser, le temps de mesurer l’impact des dispositions contenues dans la prochaine Loi de finances. La question centrale reste de savoir si ces mesures auront un effet inflationniste.
En attendant, les décideurs disposent déjà d’un signal rassurant du fait du maintien de l’inflation autour de 1%. Cette trajectoire priverait, pour l’heure, les partisans d’un nouvel assouplissement monétaire de leurs arguments. Il en va a fortiori de même pour la stabilité des taux obligataires sur le marché secondaire.
Depuis plusieurs semaines, «aucune tension n’est observée», signe que les marchés n’anticipent pas de variation du coût du crédit. «A priori, il n’y a pas de nouvelles «données qui inciteraient la Banque centrale à baisser le taux directeur», tranche Farid Mezouar.
Derrière ce consensus non déclaré qui voudrait que Bank Al-Maghrib prolonge la pause monétaire, d’autres spécialistes rappellent que la réalité, elle, est loin d’être aussi simple. L’économie traverse une séquence que d’aucuns qualifient de transition, portée par un secteur BTP dopé par les perspectives de la CAN prochainement et du Mondial 2030 à moyen terme ainsi que par un secteur du tourisme propulsé par l’extension de la connectivité aérienne.
Celle-ci se caractérise par de nouvelles liaisons établies entre plusieurs villes du Royaume et diverses destinations européennes ainsi que par la diversification des marchés via l’e-visa, en ligne avec la nouvelle feuille de route “Light in Action” lancée par l’ONMT. Mais c’est sans compter sur l’essoufflement de la demande intérieure, qui fragilise la dynamique.
«Un coup de pouce sur le loyer de l’argent serait le bienvenue pour accompagner cette croissance en phase de transition», souligne l’analyste Abdessalam Kably.
Ainsi, la nécessité de stimuler une croissance jugée atone par certains a de quoi nourrir l’argument en faveur d’une lecture plus audacieuse de la politique monétaire.
«BAM a toutes les cartes entre les mains pour justifier une éventuelle baisse des taux. En tout état de cause, le contexte plaide pour une légère contraction des taux», insiste Kably.
Les garde-fous à considérer
Mais toute perspective d’assouplissement se heurte cependant à un faisceau d’incertitudes. La première tient aux chocs exogènes, dans un monde en proie en permanence aux tensions géopolitiques. Dans une structure économique largement dépendante des importations de matières première, une nouvelle flambée des prix de l’énergie ou des céréales pourrait rapidement ranimer l’inflation, mettant à l’épreuve la capacité de la Banque centrale à préserver la stabilité des prix.
Le secteur agricole, encore marqué par l’irrégularité des précipitations, demeure lui aussi un facteur de volatilité, tant du côté de la croissance que des prix adoptés en bout de chaîne. À cela viennent s’ajouter d’autres risques propres à la position extérieure du Maroc. Si celle-ci est jugée solide pour l’heure, avec des réserves couvrant environ cinq mois et demi d’importations, elle pourrait se fragiliser en cas de choc géopolitique ou commercial majeur.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO