Opinions

Mobilités urbaines en Afrique : six recommandations pour bâtir les villes durables de demain

Amaury de Féligonde
Co-fondateur d’Okan Partners

Petites ou grandes agglomérations, pays riches ou émergents, la nécessité d’une offre de mobilité performante s’impose à tous dès lors qu’elle contribue à un objectif social d’accessibilité et à un objectif économique d’efficacité. La mobilité est indispensable aux activités économiques des villes qui sont les principaux espaces de création de richesses : les 100 plus grandes villes de la planète représentent près de 40% du PIB mondial.

La mobilité s’inscrit dans un cercle économique vertueux :  un système de transport efficace favorise l’activité économique, permet en retour de dégager les financements nécessaires à l’entretien et l’expansion du système, notamment en captant une partie de la valeur foncière qui s’apprécie en même temps que les quartiers deviennent plus accessibles. Elle joue un rôle essentiel dans la mise en valeur de la ville pour ses habitants et dans l’image qu’elle dégage : par exemple, la réalisation d’un système de tramway peut permettre une restructuration majeure des centres urbains. Plus prosaïquement, une ville ne peut être «vivable» sans un système de transports efficace.

Dans le même temps, partout dans le monde, les projets de mobilité urbaine font face à des défis majeurs : gestation lente, degré élevé de technicité et mise en œuvre complexe, nécessité d’établir un système de subventions pour garantir des tarifs accessibles et des niveaux de service suffisants, intense concurrence avec des projets dont l’usage du foncier est plus immédiatement lucratif, ou encore subtils équilibres de gouvernance entre des parties prenantes aux intérêts potentiellement divergents.

Dans le contexte des pays en développement, les défis susmentionnés prennent des proportions extraordinaires. Non seulement il faut pallier la déficience de l’offre existante (effort de rattrapage), mais également servir une population urbaine croissante en quête d’accessibilité à l’espace urbain. Dès lors, l’accélération de l’offre de mobilité ne peut se faire qu’en cherchant systématiquement l’efficience.

Deux dynamiques structurantes en Afrique
A ce propos, l’Afrique, en particulier, fait face à deux dynamiques structurantes. D’une part, l’explosion des villes, avec une urbanisation exceptionnellement rapide, à la fois en termes de population (avec 900 millions de nouveaux urbains à l’horizon 2050) et de surface (avec des villes africaines 20% plus étalées en moyenne que les autres villes émergentes). D’autre part, une forte croissance des besoins en infrastructures et services de mobilité urbaine (multipliés par plus de six d’ici 2050), avec un coût structurellement élevé en Afrique, dans un contexte où les sources de financement sont limitées, à l’échelle des États comme des usagers.

En matière de mobilité urbaine, cinq enjeux majeurs découlent de ces dynamiques structurantes. Les systèmes de transport collectif sont en majeure partie artisanaux, et représentent jusqu’à 90% de la mobilité de masse dans les grandes villes africaines. La marche est prépondérante, car elle représente 40% à 80% des trajets journaliers. La plupart des villes sont très congestionnées, en dépit d’un taux de motorisation 2 à 4 fois plus faible que dans les autres régions émergentes. Les enjeux sociaux, liés aux fractures spatiales et aux inégalités de mobilité sont importants, avec des transports urbains 40% plus coûteux en Afrique (en proportion du revenu des ménages. Ceci sans oublier une forte pollution, notamment liée aux modes de transport, dans pratiquement toutes les villes africaines.

Déjà des dizaines de projets ambitieux identifiés
L’Afrique compte des dizaines de projets ambitieux, en éclosion, ou déjà déployés à travers le continent. On peut citer les réseaux de tramway de Casablanca et Tanger ou le Gautrain dans la région de Johannesburg. Le TER de Dakar ou celui d’Abidjan (en cours de construction). Ou encore M-Auto, un opérateur de moto électriques aux ambitions panafricaines ayant déjà déployé plus de 2.000 motos au Bénin et au Togo.

Néanmoins, les enjeux de mobilité urbaine demeurent immenses sur le continent et notre rapport formule six recommandations à l’attention des décideurs publics africains et des groupes privés. Tout d’abord, la planification. Il faut doter les villes de schémas directeurs, notamment pour le transport, et étoffer le cadre législatif qui les encadre. Le métro d’Addis Abeba est un bon exemple d’intégration dans un système de transports intermodal. Ensuite, il faut penser cofinancement : mobiliser les fonds publics et l’expertise du secteur privé, à l’image du partenariat conclu entre l’État sénégalais et la SNCF pour la réalisation du TER de Dakar. La rationalisation est clé : il s’agit de capitaliser sur l’existant et d’éviter les «éléphants blancs».

Confrontés à des besoins importants d’amélioration des systèmes de transport, mais contraints par des ressources budgétaires limitées, les pouvoirs publics africains doivent, quand c’est possible, rationaliser le transport artisanal et privilégier les infrastructures à coût modéré mais à forte utilité sociale. C’est le cas du téléphérique écoresponsable d’Antananarivo, en cours de développement par la société POMA, qui permet de minimiser le coût du foncier dans un tissu urbain dense.

La quatrième serait l’innovation : recourir aux nouvelles technologies de mobilité urbaine, permettant notamment de décongestionner les villes (systèmes de feux de circulation intelligents), de les dépolluer (véhicules décarbonés) et de promouvoir des réseaux de transport intelligents sur le modèle du Mobility as a Service (MaaS). La cinquième est l’inclusion. La création d’emplois doit être promue, que ce soit via le transfert de savoir-faire, comme dans le cas du système de tramway de Casablanca où l’effectif est constitué à hauteur de 99% de Marocains, ou en permettant aux citadins des zones peu desservies de se rapprocher des opportunités économiques.

Enfin, il faut miser sur la pérennité. Établir des projets durables, avec des modèles résilients sur le modèle du réseau de bus en site propre (BRT) électrique de Dakar, en cours de déploiement. L’avenir des villes africaines et de leurs habitants dépend en grande partie des décisions politique et d’investissement qui sont prises aujourd’hui. Les défis sont énormes. Mais de nombreuses villes en Afrique et dans le monde ont démontré la possibilité de trouver des solutions adéquates, pour autant que chacun des acteurs des écosystèmes urbains, publics et privés, ont su proposer des solutions ambitieuses, pérennes et innovantes.


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