Culture

Confinement: “Fièvres”, un film pour voir la banlieue autrement

Le confinement est l’occasion de renouer avec le cinéma et les œuvres qui ont marqué. «Fièvres», film de Hicham Ayouch sorti en 2013, en fait partie. Il est disponible en ligne depuis le 13 avril. L’occasion de découvrir ou redécouvrir un film «en banlieue mais non de banlieue». 

Pour faire passer la quarantaine, le réalisateur Hicham Ayouch propose de voir ou revoir son film passionné, qui avait remporté l’Étalon d’or du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). Une œuvre épidermique et pleine d’audace. «Fièvres» est un film dont la dimension émotionnelle scotche le public jusqu’à la dernière minute. Au-delà des clichés, le jeune réalisateur apporte une touche poétique et donne une nouvelle image d’une banlieue qui a trop longtemps été bafouée et présentée comme une prison.

Quand la cité respire
La caméra s’arrête sur la cité, l’admire, la rend belle et intéressante. Elle nous la présente comme un lieu de liberté, où il y a de l’espace, où l’on respire et aime vivre. Malgré le poids, l’oppression, la tristesse que transmettent des personnages «fiévreux», la banlieue est un décor et non un acteur principal, elle n’est pas la cause de tous les ennuis, bien au contraire: son graphisme, ses lignes et sa verticalité sortent les personnages de leur gouffre et les font exister. C’est l’histoire de Benjamin, parfaitement interprété par le jeune Didier Michon, qui souhaite retourner chez un père qu’il ne connaît pas au lieu de rester dans un foyer. C’est là la première séquence du film, et celle-ci plante déjà le décor. L’enfant choisit la banlieue à la prison: la cité n’est donc pas une fatalité mais une option de vie.

«En banlieue, je respire plus qu’à Paris. Je n’ai jamais voulu faire de film à Paris parce que cela ne me parle pas. La banlieue m’inspire, son graphisme, son espace m’ont donné envie d’y tourner un film», confie le réalisateur qui avoue avoir passé 6 mois à cogiter dans la cité, affirmant que son film est un film en banlieue et non de banlieue.

En effet, au lieu de choisir la voie de la facilité et de la caméra à la main pour insister sur la violence et passer à côté de l’esthétique, Hicham Ayouch fige sa caméra, laisse le temps au public d’admirer la cité, fait des plans-séquences, se permet des effets de mise en scène maîtrisés et sophistiqués.

Famille décomposée
Malgré quelques maladresses et des personnages non aboutis -peut-être parce qu’on veut trop en dire sans avoir le temps nécessaire pour le faire- les personnages principaux nous happent et nous émeuvent. Cette rage de Benjamin qui pousse celui-ci à être insolent et violent face à l’impuissance d’un père qui vit encore chez ses parents, et qui se retrouve avec une responsabilité qu’il n’a jamais demandé à assumer, nous permet d’assister à des scènes d’une violence inouïe, comme celle où le père tente de jeter son propre fils par la fenêtre ou quand le fils dit à son père avec froideur : «Tu n’es pas un homme». Slimane Dazi, qui campe le père, crève l’écran avec ce poids sur ses épaules que l’on espère voir se dissiper grâce à l’amour de cet enfant terrible. Tel un élément perturbateur, Benjamin réussira néanmoins à «équilibrer» cette famille qui traîne un lourd secret. Les grands-parents sont justes et loin des stéréotypes: point d’accent arabe déplacé, ils sont croyants tout en se permettant une scène d’amour des plus poétiques, demeurent intègres et traditionnels tout en étant modernes, avec une grand-mère jouée par Farida Amrouch qui fume et qui assume. Lounès Tazairt, qui interprète un grand-père rongé mais que l’amour maintient en vie, livre une prestation touchante et pleine d’humilité. Entre tabous, religion et manque de communication, les personnages passent d’un état émotionnel à l’autre, sorte de fièvre qui les tient. Entre-temps, Benjamin se réfugie chez son ami Claude, le poète improbable joué par Tony Harrison, qui vit dans une forêt. On se demande si Claude existe vraiment ou s’il s’agit d’un ami imaginaire, idée sublimée, idéalisée de Benjamin. En tout cas, Claude fait beaucoup de bien au film et lui confère une dimension féerique. Un dénouement auquel on ne s’attend pas, qui ne satisfait pas, mais loin d’être égoïste.

Hicham Ayouch se met au service de ses personnages et les laisse faire. Bien qu’ancré dans une réalité des plus concrètes, le réalisateur fuit le réalisme social et refuse de tomber dans les clichés et la pitié, à l’image de la philosophie de Bruno Dumont ou de la folie fantasmée mais néanmoins violente de Tim Burton, qui aurait pu créer un personnage comme Claude. Il les crée puis les laisse vivre et décider de leur sort. C’est ce qui arrivera à Benjamin à la fin du film, plongeant la salle dans un silence de cathédrale. Un silence qui ne trompe pas et qui prouve que son film «rouge et noir» est une réussite.


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