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Commerce mondial. Dans le tourbillon de la guerre économique

Le concept de «guerre économique» date du siècle dernier mais a pris toute sa place au 21e siècle. Il est le corollaire de l’ouverture accentuée des économies et de la concurrence exacerbée que se livrent les États et les entreprises sur la scène internationale. Le commerce mondial des biens et services n’a cessé de croître depuis plus de 50 ans en lien avec la baisse des coûts de transport, la levée des barrières douanières, l’effondrement du bloc de l’Est, la montée fulgurante de nouvelles puissances économiques comme la Chine et l’Inde, le tout facilité par la révolution numérique des technologies de l’information et de la communication. Le taux d’ouverture mondial qui était à peine de 11% durant les années 1960 est passé à 20% pendant les années 1980 pour atteindre le pic de 30% en 2008 avant de baisser à 27% en 2016.

Nouvelles règles
Jusqu’au milieu des années 1980, les stratégies de rationalisation des coûts adoptées par les firmes multinationales ont permis de séparer les lieux de consommation de ceux de la production. Néanmoins, depuis la fin des années 1990, la baisse des coûts de déplacement des idées grâce aux technologies de l’information a été telle qu’un site de production dans un pays en développement peut bénéficier de la technologie et du management d’un pays riche, en d’autres termes du travail et du savoir. On assiste par conséquent à une nouvelle cartographie du commerce international où la part des exportations des pays de l’OCDE est passée de 80% à la fin des années 1980 à juste 55% en 2017. À juste titre, en 2009, la Chine est désormais devenue le premier exportateur mondial. Il va sans dire que par ailleurs les progrès technologiques ont impacté le commerce mondial avec notamment l’importance croissante des services aux entreprises et l’explosion des échanges de données et du commerce électronique. Cependant, la mondialisation financière a fortement fragilisé le fonctionnement de l’économie mondiale. Les transactions financières internationales ont amplement supplanté la valeur réelle du commerce international des biens et services, engendrant par la même occasion une énorme crise économique qui a débuté en 2008 et dont les effets se font encore sentir.

Comment accroître la rentabilité
Chaque pays, via ses entreprises, souhaite conquérir de plus en plus de marchés. Elles s’ingénient et mettent en action de nombreuses stratégies afin d’y parvenir. Les politiques gouvernementales, bon an mal an, les soutiennent ou carrément leur préparent le terrain de la conquête des marchés en amont. Dans ce contexte, les entreprises cherchent à accroître leur rentabilité et les États à contrecarrer le chômage et à réaliser de la croissance économique. Toujours et paradoxalement dans ce même contexte, on assiste à une guerre économique que se livrent essentiellement les pays les plus puissants de la planète. Les États-Unis renouent avec le protectionnisme et tournent le dos au multilatéralisme. Les prémisses de cette politique ont été clairement annoncées lors de la campagne électorale de Donald Trump où le slogan était «America first». Les États-Unis dressent des barrières douanières à l’encontre de la Chine, du Canada et de l’Union européenne afin de se réindustrialiser et de répondre à des préoccupations d’ordre économique. Ces derniers pays, par principe de réciprocité, ripostent avec virulence. Il s’agit là sous prétexte de faire valoir en premier l’intérêt national d’une rupture profonde avec l’OMC et les normes sur lesquelles s’appuie le système commercial multilatéral dont les États-Unis ont été historiquement l’architecte et le leader. Au sein même de l’Union européenne les distorsions ne manquent pas. On assiste à une montée fulgurante de l’extrême droite dans de nombreux pays qui prône un retour au principe de l’État-Nation. Le fait le plus marquant est le Brexit en Grande-Bretagne dont le slogan a été «British only» ayant débouché le 1er février 2020 sur un retrait définitif de l’Union européenne.

L’Afrique, terrain de jeu des puissances économiques
L’Afrique, qui, jusque-là était principalement la chasse gardée de la France n’est pas en reste car elle devient une cible économique pour la Chine et la Turquie également. Une décennie après la crise de 2007-2008, les fragilités financières perdurent engendrant une récession économique sans précédent. Elles sont la résultante d’une conjonction de nombreux facteurs dont les plus importants sont les rivalités commerciales continues, les énormes déficits budgétaires de nombreuses nations, l’endettement élevé des entreprises dans les économies avancées, en l’occurrence aux États-Unis où les prêts accordés à des entreprises déjà très endettées, notamment dans le cadre d’opérations d’acquisitions d’entreprises par des fonds ont atteint 1.300 milliards de dollars à fin 2018, le regain du cercle vicieux entre banques et finances publiques dans la zone Euro et les fragilités financières en Chine et dans les pays émergents qui bénéficient d’énormes placements financiers car les politiques monétaires extrêmement expansives destinées à neutraliser la crise financière, adoptées par les pays avancés auraient fourni aux investisseurs une masse énorme de liquidités les acculant à être en quête de rendements rapides exposant les pays récepteurs de fonds à des risques financiers importants potentiellement transmissibles au reste du monde, eu égard au poids économique de la Chine à l’échelle de la planète. Face à cet état de fait, certains pays s’enrichissent énormément au détriment d’autres qu’on appauvrit dramatiquement. Cela montre vraisemblablement que nous ne parvenons pas encore à mettre sur pied un nouvel ordre économique mondial digne de ce nom où se mêlerait le rendement, la croissance économique mais aussi l’éthique, l’égalité des chances et la moralité. Il s’agirait, en d’autres termes, de mettre à plat le système actuel et de proposer un nouveau cadre macro-financier qui contiendrait les ingrédients permettant d’articuler les outils monétaires, financiers et budgétaires mais surtout de mettre en place un cadre macro-prudentiel qui garantirait rentabilité, sécurité et pérennité de l’activité économique et financière. Or jusqu’à maintenant ce modèle n’a pas encore vu le jour et il est presque certain qu’il ne le verra pas car l’histoire aura montré que les modèles économiques ont toujours été du ressort des pays qui dominaient le monde et sont élaborés pour servir, avant tout, leurs propres intérêts. Lorsque les entreprises américaines étaient compétitives, les États-Unis ont imposé un libéralisme outrancier à pratiquement tous les pays de la planète. Dès lors que leurs entreprises ont perdu du lest car vivement moins compétitives que des entreprises en Chine, en Inde ainsi que celles d’autres nations, ils ont été les premiers à remettre en question leur propre modèle car celui-ci ne servait plus leurs intérêts. 

Nabil Cherkaoui
Directeur de l’ISGA Casablanca
Samir Diouri
Président du groupe ISGA

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